Ma jeunesse
Je suis née Jane Magre dans une famille de commerçants aisés de Toulouse. Pour une famille de la grande bourgeoise, l'éducation passe par le couvent, je fais donc mes études à l'Assomption d'Auteuil, à Paris, où je montre des dispositions artistiques, notamment pour le dessin.
A 19 ans, je me marie avec Marcel Dieulafoy, ingénieur des ponts-et-chaussées. Quand la guerre franco-prussienne éclate quelques mois plus tard, vêtue d'un costume masculin, je prends part à la campagne au côté de mon mari, combattant dans l'armée de la Loire.
L'âme aventurière
Mon mari a commencé sa carrière en étudiant les monuments antiques en Algérie, et à ses côtés je développe une attirance certaine pour les voyages et un intérêt pour l'Orient. Notre goût partagé des voyages et notre passion pour l'art et la culture, nous entraînent à parcourir l’Égypte et le Maroc de 1873 à 1878.
De retour en France, mon mari travaille au service des monuments historiques sous la direction de Viollet-le-Duc, et s'intéresse particulièrement aux origines de l'architecture musulmane.
En 1881, nous décidons de partir en Perse : embarquement à Marseille, traversée de la Grèce, de la mer Noire et de l'Azerbaïdjan. Nous continuons notre voyage à cheval.
Je suis habillée en homme, parce c'est beaucoup plus pratique et pour passer inaperçue dans des régions où ne pas porter le voile est plus que mal vu.
Nous arrivons à Suse un an plus tard. Malgré les difficultés rencontrées, les fatigues... je me sens tout à fait à l'aise dans la peau d'une aventurière.
Je me découvre aussi une nouvelle passion : la photographie. Je prends des photos des villes, des monuments, des paysages, des habitants.
Et je tiens un journal de voyage, j'y décris ce que je vois, les événements, les rencontres et j'y relate mes impressions.
De retour à Paris en 1883, mes écrits sont publiés dans une revue française de voyages Le tour du monde, et ont un grand succès.
Nos recherches et travaux nous valent le soutien du directeur des Musées nationaux et nous repartons pour Suse en 1884, cette fois en mission officielle.
L'exploration de Suse
Nous nous installons sur les ruines des anciens palais de Suse, et nous embauchons 300 ouvriers.
Je supervise les travaux, enregistre les objets découverts, et tiens un journal des fouilles où je note notamment toutes les circonstances qui accompagnent la découverte de la frise des lions, la rampe d'escalier du palais d'Artaxercès, petit fils de Darius, et la célèbre frise des archers. Ces frises sont ramenées en France et exposées au musée du Louvre. A l'occasion de l'inauguration des salles Dieulafoy, je suis décorée de la légion d'honneur.
« Quels terribles soucis me causent la découverte et l'enlèvement des émaux ! Chaque bloc, brisé quelquefois en sept ou huit fragments, est dégagé avec la pointe du couteau, dessiné sur un papier quadrillé, déposé dans une corbeille au fond de laquelle on jette un numéro d'ordre, et prend le chemin du camp. Les frises, trop encombrantes, sont empilées sous le capar, faute de meilleur abri ; les émaux en relief s'entassent dans notre tente, où nous avons pendant les jours de pluie le loisir de les débarrasser des gangues adhérentes et de reconstituer un magnifique lion dont le corps se profile sur un fond bleu turquoise. Le modelé savant, la coloration harmonieuse mais fantastique de l'animal, décèlent un art d'une puissance et d'une originalité indicibles... Des répliques doubles, triples, quadruples laissent supposer que la bête faisait partie d'une procession de fauves qui se déroulait sur une longue frise... La voilà donc réveillée d'entre les morts cette polychromie antique, niée, exaltée, et combattue avec passion dans les tournois archéologiques !». Suse, journal des fouilles, p 158
« Crapaudine de grandeur colossale, débris de belles huisseries, double carrelage rencontré derrière la baie, inscription cunéiforme, linteaux et colonnes brisés, démontrent clairement que nous avons découvert l'emplacement de l'une de ces portes monumentales, orgueil des souverains de l'Orient... Dor Ali se précipita : « Je trouve un objet qui est beau! s'écria-t-il tout essoufflé ; les ouvriers prétendent que c'est de l'or ; moi je dis : c'est un kachy ! » Les Persans désignent sous ce nom les revêtements de faïence fabriqués à Kachan au douzième siècle... Il tient un bloc de faïence blanche comme neige ; sur une des tranches apparaît, en haut-relief, une demi-sphère d'un bel émail jaune, semée d'étoiles bleues, vertes et blanches, comprises dans un cloisonné. Un liséré blanc longe la saillie. Le morceau est incomplet, mais, tel quel, c'est un chef-d’œuvre de céramique. Que peuvent bien représenter cet étrange modelé, ces couleurs magnifiques ?... Le tableau représente des archers vus de profil, en marche, la javeline à la main, l'arc et le carquois sur l'épaule. Les uniformes, de couleurs différentes, sont taillés sur le même modèle : jupe fendue de côté, chemise courte, serrée à la taille par une ceinture, veste fermée sur la poitrine. Les manches de ce dernier vêtement, ouvertes du poignet au coude, laissent passer les plis nombreux de la chemise ». Suse, journal des fouilles, p 285
J'ai fait les récits de mes voyages à travers divers ouvrages, souvent illustrés de mes propres dessins et photographies.
Une nouvelle destination : l'Espagne
Malgré les succès de nos recherches, nous n'obtenons pas de nouvelles missions pour retourner en Perse, nous nous tournons vers d'autres contrées, dont l'Espagne, pays que j'affectionne particulièrement. J'écris alors des essais Aragon et Valence, Castille et Andalousie, ainsi qu'une biographie d'Isabelle la Grande, ouvrage posthume paru en 1920.
Mes autres productions
Pour donner vie et mouvement au héros de ces périodes historiques, je me tourne vers le roman et le théâtre. Ainsi Parysatis, tragique histoire d'une reine de Perse est couronnée par l'Académie française et se joue au théâtre des arènes de Béziers le 17 août 1902 sous forme de drame en trois actes.
J'écris quatre autres romans historiques : Rose d'Hatra, Oracle, Frère Pélage, Volontaire, mettant souvent à l'honneur des héroïnes.
En 1914, j'accompagne de nouveau mon mari au Maroc, nommé adjoint au commandant supérieur du génie militaire. À Rabat où nous nous sommes installés, je soigne des malades et malheureusement je contracte un mal infectieux qui m'emporte en 1916.