Extraits du Vrai Livre des Femmes
Tout se traduit en chiffres de nos jours, en face de l'avenir. Les écoliers quittent leurs jeux pour suivre le cours de la Bourse. Les étudiants échangent leur insouciance contre l'intérêt. Les mariages se traitent au comptant. On cote le talent, la réputation, la gloire ; c'est une course à l'or, un enivrement d'égoïsme : le chacun pour soi absolu.
Les hommes ont crié néant aux femmes... Enfants, ils en ont fait des jouets ; jeunes filles, des poupées parlantes ; jeunes femmes, des esclaves; et la récolte est selon la semence. Tant que la femme ne sera pas en possession d'elle-même, tant qu'elle n'aura pas son libre arbitre, on la trouvera au-dessous de la mission que Dieu lui a assignée dans la famille. Il ne s'agit point d'intervertir les sexes et de donner à l'un les attributions l'autre. La maternité sera éternellement la sublime part de la femme. Elle transmet et conserve de génération en génération le type humain, pourquoi donc n'est-elle pas élevée en moralité intelligente? La raison du plus fort n'est pas toujours la meilleure : employons la logique et faisons taire le préjugé.
Dans les campagnes, les femmes fanent, labourent, moissonnent, et chacune d'elles, dans sa journée, fait autant de travail qu'un homme ; cependant on les paie le moins possible, tant est grande, à leur égard, la partialité. Tout ne va donc pas pour le mieux en ce monde ? Les lacunes se sentent, la moitié de l'humanité, obéit à l'autre, c'est un fait. Les hommes ont eu la toute puissance, ils s'en sont servis, c'était leur droit ; prétendre leur enlever leur autorité serait absurde, il faut leur en faire céder une partie et, pour cela, s'en rendre dignes.
Malgré les lois, malgré les obstacles que la force opposait à sa faiblesse, la femme a conquis certaines positions ; mais combien son lot diffère encore de celui de l'homme ! Le fonctionnaire public, après trente ans, a une retraite ; le soldat invalide est pensionné par l’État ; la femme, vieillie par le travail, épuisée par les veilles, n'a en perspective, si elle est pauvre, que l'hôpital. On sert de petites pensions aux veuves, on tend des secours aux autres, mais ce ne sont là que des aumônes déguisées. Il y a mieux à faire.
Sommes-nous une famille de frères? de l'un à l'autre bout du monde, l'amour de l'or domine toutes les classes... C'est le règne du chacun pour soi, la religion de l'égoïsme. Les femmes ont-elles contribué à ce chaos moral ? Leur influence s'est-elle fait tyrannique ? Est-ce de leur côté que la soif de l'or est venue ? L'évidence prouve le contraire.... Si le ministère de l'intérieur leur appartient, le ministère des affaires extérieures incombe aux hommes.
Filles, mères ou veuves, les femmes sont-elles ce qu'elles doivent être ? Dans la famille et dans l’État, leur condition est-elle heureuse ? Dépend-il d'elles d'améliorer leur sort, de le changer et de réagir efficacement sur la société par la puissance de leur exemple ? Là nous semble être la solution du grand problème humanitaire, auquel tout penseur doit sa part de méditations. La femme, dès son plus bas âge, reçoit une éducation qui fausse ses aptitudes, comprime ses élans et rétrécit ses idées. On ne l'empêche pas seulement de penser ce qu'elle dit, on lui défend de dire ce qu'elle pense.
Que sont ces définitions de sexe fort et de sexe faible ? Chacun, selon son tempérament propre, a sa force et sa faiblesse ; mais peut-on appeler faible le sexe qui porte, allaite et élève les enfants ?
Constamment préoccupée du sort des femmes, je me suis demandé, dans le calme de ma solitude, par quel moyen on pourrait efficacement leur venir en aide, et contribuer à leur bien-être commun. Il m'a paru démontré que la publication d'un bon journal atteindrait ce but... Les journaux adressés aux femmes sont de simples courriers de modes qui traitent tout du haut de leur légèreté, sans le moindre examen. Le Journal pour toutes, dans sa partie sérieuse, étudierait les questions d'intérêt commun au point de vue moral, intellectuel et matériel, discuterait sans aigreur pour concilier non pour irriter. Sa rédaction prendrait à tâche d'être claire sans pédantisme, sage sans austérité... Examens de livres nouveaux, comptes-rendus des théâtres, littérature, beaux-arts, sciences, commerce, industrie, chaque chose aurait sa place dans le journal, qui ne laisserait rien en dehors de ses recherches et toucherait, ici, aux questions de morale sociale, là, aux intérêts privés... Il y a place dans le siècle pour une œuvre sérieuse de femmes. Que les mieux intentionnées y pensent. Le monument impérissable du progrès appelle à son édification l'humanité entière, édification à laquelle chaque individualité peut concourir dans la mesure de ses forces. Travaillez, prenez de la peine, tout labeur a sa récompense.